On ne plaisante plus avec les délais de paiement !

 

Une bonne gestion de trésorerie ne doit pas se faire au détriment de ses fournisseurs

Le 1er août dernier, l’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre : EDF a écopé d’une amende de 1,8 million d’euros pour non-respect des délais de paiement des factures fournisseurs. Parmi les 131.965 factures passées au crible sur la période de mars à août 2017, 13.416 (soit 10 % des factures) n’avaient pas été réglées dans les délais impartis. Au total, « 3.452 fournisseurs ont été payés en retard », indique Bercy. Le montant global des factures concernées s’élève quant à lui à 38,4 millions d’euros.Cette sanction a été infligée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Elle est la plus élevée décidée à ce jour pour non-respect des délais de paiement. Le Ministère de l’Economie et des Finance a justifié le montant de 1,8 million d’euros en affirmant qu’il était « proportionné au montant de trésorerie immobilisé » par l’entreprise. Selon lui, il est « nécessaire de toucher au portefeuille des entreprises pour que le sujet ne soit pas considéré comme un sujet administratif de second rang ».

En mai 2019, trois entreprises avaient déjà été sanctionnées par des amendes supérieures ou égales à 500 000 € : Ciments Calcia, filiale du géant industriel allemand HeidelbergCement, pour 670 000 €, France Manche pour 501 000 €, et MMA Iard pour 500 000 €. En 2018, 263 décisions de sanctions ont été notifiées, pour un montant total d’amendes de 17,2 Millions d’euros. Parmi les sociétés sanctionnées : l’américain Amazon, le chinois Huawei, le suisse Nestlé Purina, mais aussi les français Fraikin, Canal + International, Sephora, TechnipFMC, La Poste, la RATP ou la Française des Jeux, tous condamnés à 375.000 € d’amende, et Groupe l’Express à 310 000 €. Une goutte d’eau pour ces géants mais sûrement pas pour leurs fournisseurs et sous-traitants qui doivent payer leurs employés, l’URSSAF et les impôts.

Le gouvernement a enfin pris conscience de la responsabilité des grands groupes dans les retards de paiement. Ces retards sont à l’origine des difficultés de trésorerie d’une PME sur quatre et le déficit de trésorerie subi est estimé à 19 milliards d’euros. Les secteurs les plus touchés par ces retards sont la construction, le soutien aux entreprises, l’information et la communication.

Bien mais peut mieux faire !

Certes, plusieurs mesures ont été prises par le législateur pour renforcer la Loi LME du 4 août 2008 :

  • Depuis la loi Sapin 2 de 2016, les amendes encourues sont passées de 375.000 à deux millions d’euros.
  • Un amendement de la loi Pacte, promulguée en mai 2019, autorise l’Etat à pratiquer le « name and shame » (nommer et faire honte) avec les entreprises sanctionnées pour des défauts de paiement.

Mais c’est encore très insuffisant ! Selon l’Observatoire des délais de paiement, ce sont les grands groupes qui enregistrent les plus nombreux retards de paiement. Moins d’une grande entreprise sur deux règle ses fournisseurs dans les délais légaux.

Pour les entreprises privées, le délai de paiement est de 60 jours à compter de la date de facture (30 jours s’il n’y a pas de conditions générales de vente) ou 45 jours après la fin du mois de livraison. Or ce deuxième calcul peut porter le délai à plus de 60 jours.

Certains groupes internationaux imposent des paiements à 90 jours au motif que leur système de gestion est le même pour le monde entier (pour les contrats internationaux hors Union Européenne régis par la Convention de Vienne, le délai maximum de 60 jours est inapplicable) et que même au sein de l’Europe, certaines tolérances sont acceptées. Ainsi la loi allemande stipule que les entrepreneurs privés peuvent convenir entre eux de délais de paiement supérieurs à 60 jours si ledit délai a été convenu expressément et si cette convention ne nuit pas gravement aux intérêts du créancier. Le législateur allemand n’a pas défini à partir de quand le délai de paiement devient gravement inéquitable.

Pourquoi les grands groupes se privèrent-ils de ces reports de délai puisque la directive européenne 2011/7/UE du 16 février 2011 autorise également un délai supérieur à 60 jours « si les entreprises s’accordent sur un autre délai et à condition que celui-ci ne soit pas abusif » ? Comme personne ne se soucie du rapport de force qui sous-tend les négociations commerciales, quasiment tout le temps en défaveur du fournisseur lorsqu’il s’agit d’une PME, la voie est libre !

D’autres groupes détournent ces règles en imposant des pratiques de gestion contraignantes et pernicieuses comme, par exemple, la constitution d’un « stock avancé » représentant plusieurs semaines voire plusieurs mois de livraison, mais en ne calculant le délai de paiement des factures qu’à compter de la date de prélèvement sur ce stock.

Pour les entreprises du secteur public, le délai de paiement légal est de 30 jours à compter de la date de facture, mais on est souvent très loin du compte, car avec certaines administrations où les questions budgétaires et parfois organisationnelles pèsent encore sur le traitement de la chaîne de facturation, les délais de paiement s’envolent littéralement!

Morale de l’histoire : il faut montrer l’exemple !

Avec cette amende record, le ministère de l’Economie a dit « vouloir adresser un signal fort aux mauvais payeurs ». Il reconnaît que « la lutte contre les retards de paiement est un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de l’économie ». En effet, il y a une corrélation directe entre retard de paiement et probabilité de défaillance. A partir de 30 jours de retard, la probabilité de défaillance est multipliée par 6 et à partir de 69 jours, la probabilité est 11 fois plus forte.

Pour cette raison, le géant de l’électricité détenu à 83 % par l’Etat va subir une deuxième sanction : en 2015, EDF s’était vu délivrer un label distinguant les entreprises entretenant des « relations durables et équilibrées » avec leurs fournisseurs. Selon Bercy, ce label va lui être retiré.